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Les mystères de Riverside Gardens

Chapitre 1 : Macabre découverte

Ce matin à Riverside Gardens, une nouvelle macabre va chambouler le quotidien de nos 6 personnages principaux.

Une heure paisible

Les premiers rayons du soleil traversèrent les fenêtres de la véranda, et vinrent caresser la surface de l’eau. Le vent faisait danser les palmiers autour de la piscine, et sa douce musique complétait les chants matinaux des oiseaux. L’instant était paisible, serein, et pourtant en ce jeudi matin, rien n’était comme à l’accoutumée. Un corps flottait inerte à la surface du bassin.

Le cadavre d’Andrews ondulait légèrement. Son corps fripé était presque nu, il ne portait que son slip de bain. C’était son maillot de bain préféré, vingt ans déjà qu’il l’avait. Il en était fier, il n’avait pas pris un kilo. Et puis ce beau rouge avait toujours fait ressortir son bronzage. Là où il était maintenant, son pauvre maillot en lycra ne lui servirait plus.

Paula

Comme tous les matins, Paula marchait d’un bon pas jusqu’à la piscine. Chaque jour, elle voulait être la première à y entrer, la première à savourer la douceur de l’eau sur sa peau, sa tiédeur. Parfois, elle arrivait avant 6 heures, et elle devait attendre que la porte se déverrouille. Mais peu importe, Paula serait la première quoiqu’il en coûte. Elle évitait la douche glacée, et plongeait directement dans la piscine. Après quelques brasses, elle se plaçait dans son petit coin d’observation et attendait chaque nouveau venu pour le détailler.

Oh oui, la laideur de leur corps, la peau distendue, les bourrelets installés avec les années, et leur maladresse, leur incapacité à se mouvoir comme avant, elle en appréciait chaque détail. Que c’était bon d’être enfin plus belle que les autres. La laideur qui l’entourait la rassurait.

Parfois, elle repérait aussi un nouvel homme, un nouveau résident. Pas de mensonge sur la marchandise quand vous pouviez les observer en slip de bain. Quand il était à son goût, telle une sirène, elle s’approchait, le regard brûlant.

Quand le bassin était presque plein, elle se mettait alors à nager, avec grâce. Elle sentait les regards envieux des autres vieilles dames, elle sentait le regard lubrique de certains des papys. Et après une vingtaine de minutes, elle sortait, naturelle et fière du bassin.

Sa peau n’était pas aussi lisse qu’à ses 20 ans, et les années avaient aussi eu une prise sur elle. Elle ne détestait pas ses rides, ni le manque d’élasticité de sa peau. Car elle avait su conserver un corps athlétique. Telle une nymphe sortant de l’eau, elle ondulait du bassin en grimpant les quelques marches de la piscine. Elle secouait alors ses longs cheveux blancs, s’enveloppait dans une serviette et saluait l’assemblée avant de disparaître.

Ce matin, le vent ne cessait de s’engouffrer à travers les pans de sa robe de chambre en satin rouge, laissant apparaître son corps presque nu. Elle frissonnait, ses dents claquaient presque, mais elle ne pouvait se résoudre à adopter une robe de chambre en pilou pilou comme toutes les autres vieilles.

Paula parcourut les quelques rues qui la séparait de sa destination, elle emprunta enfin le petit chemin jusqu’au portail. Étrange, il était déjà ouvert. Quelqu’un l’aurait-il déjà devancée ? Impossible, Intolérable !

Elle fronça les sourcils, et en secouant la tête avança jusqu’à la porte. Un dernier coup d’oeil à sa montre lui confirma qu’il n’était pas encore 6h00. Aucune chance qu’un autre vieillard ait pris sa place.

Pourtant en tirant sur la poignée, la porte s’ouvrit. La situation devenait de plus en plus louche. La buée sur les vitres ne lui permettait pas de voir l’intérieur du bâtiment.

Elle poussa la porte. La scène qu’elle découvrit la laissa sans voix. Sans même voir son visage, elle le reconnut. Paralysée, elle resta un moment à observer le dos musclé d’Andrews. 75 ans, le bonhomme avait conservé une belle musculature. Elle avait aimé passer ses doigts sur la peau froissé de son torse, le faire chavirer de ses caresses.

Seule l’arrivée de Martha, et son cri retentissant la tirèrent de ses rêveries.

Rita

Rita s’affairait à préparer le petit déjeuner. Elle mit à chauffer la bouilloire pour son thé et vérifia que la cafetière fonctionnait correctement.

Ah oui, elle en était contente de sa cafetière, vous pouviez la programmer à l’avance et hop, le café était prêt à votre réveil. En plus, elle l’avait eu pour une bouchée de pain ! Elle en caressa la surface en plastique comme elle le faisait auparavant avec la tête de ses bambins.

Les toasts sautèrent du grille pain, et la pièce fut alors envahie d’une douce odeur de pain grillé. Elle les attrapa au vol, et les posa sur une assiette. Avec amour, elle les tartina d’une première couche de beurre, puis étala sur chacun une épaisse couche de beurre de cacahuète.

À la dérobée, elle jeta un oeil par dessus son épaule. Pas de Bruce à l’horizon, elle croqua d’un coup sec dans la tartine. Elle ferma les yeux de bonheur, le fondant du beurre de cacahuète lui chatouillait les papilles, elle en savoura chaque petite miette. En ouvrant les yeux, elle observa le morceau de pain amputé. Elle reteint un rire. Tout problème a une solution, elle se munit d’un couteau et coupa le toast en forme de coeur.

Elle finit de déguster les contours du coeur. Bruce devait la trouver bien romantique en ce moment… Elle ne pouvait s’en empêcher. Ce régime la rendait folle. Son yaourt au lait de soja et ses galettes aux graines l’attendaient sur un coin de la table. Beurk, insipides, elle n’avait aucune envie de les manger. Mais son médecin avait été clair, si elle voulait profiter encore quelques années de ses petits enfants, il allait falloir se restreindre. Et Bruce ne laissait rien passer, il veillait au grain.

Alors qu’elle enfournait la dernière bouchée de sa découpe, on frappa à la porte. Elle sursauta. Qui pouvait bien frapper à la porte de si bonne heure ? Les coups étaient saccadés et ne s’arrêtaient pas. D’accord, d’accord, elle arrivait, elle allait ouvrir. Elle se déplaça d’un pas lent jusqu’à la porte. Son embonpoint l’empêchait de se presser.

C’était Paula, sa robe de chambre en satin grande ouverte sur un maillot de bain noir et doré. La nymphe s’engouffra dans la petite maison, bousculant Rita. Rita secoua la tête, et s’apprêta à rabrouer la visiteuse, quand elle remarqua l’air affolé qu’affichait Paula.

« Andrews… mort… piscine… police. Mort… Mort… »

Rita ne comprit que ces quelques mots entrecoupés de paroles inaudibles et des secousses que subissait le corps de Paula. Elle la prit dans ses bras et la berça, caressant ses longs cheveux. Ah, ils étaient moins doux que ce qu’ils paraissaient. Elle chassa cette satisfaction de son esprit, et se concentra de nouveau sur ce que tentait de lui expliquer Paula.

Andrews était mort et flottait inerte au milieu de la piscine. Il avait sans doute succombé à une crise cardiaque ou un autre mal de vieux. Ici les décès étaient plus courants que les naissances. En revanche, dans la piscine, c’était une première.

Il fallait qu’elle prévienne Bruce. Lui et Andrews avaient été amis de longue date, s’ils étaient brouillés depuis un moment, Bruce serait sans doute peiné de cette découverte macabre.

La porte de la salle de bain s’ouvrit sur un Bruce, fraîchement douché, affublé de son polo préféré de l’équipe des Wallabies.

Bruce

La douche était à peine tiède, Bruce vociféra, il allait encore falloir qu’il répare ce maudit chauffe-eau. Ah qu’est-ce qu’il détestait cet endroit, avec ses maisons en plastiques et ses horribles collections de nains de jardins. Rita s’était, elle aussi, prise d’une passion pour ces horreurs en céramique. Maintenant ils en avaient plein le jardin, il se retenait chaque jour de ne pas les percuter malencontreusement avec son utilitaire.

Après tout, ça rendait sa Rita heureuse. Malgré ses incartades, il aurait fait n’importe quoi pour elle. Cette bonne femme était tout simplement la femme de sa vie. Pour rester dans un tel endroit, il fallait beaucoup d’amour. Mais il n’en avait pas pour longtemps, dans quelques mois, quand le van serait enfin terminé, ils partiraient. Oui, ils tailleraient la route, tous les deux et feraient le tour de l’Australie. Fini la résidence pour les vioques, bonjour les grands espaces, la pêche, la faune sauvage… Ah il avait hâte !

Le van ne s’aménagerait pas tout seul, après un dernier coup de peigne et un hochement de tête en se regardant dans le miroir, il sortit de la salle de bain.

L’odeur du café mêlée à celle du pain grillé lui ouvrit l’appétit immédiatement. D’un pas assuré, il se dirigea jusqu’à la table de la cuisine, il décida d’ignorer Rita qui réconfortait encore une de ses nombreuses amies. Il préférait rester loin de ces histoires de bonnes femmes, il s’assit, contempla l’assiette où trônait 4 tartines dont une en forme de coeur. Euh, Rita devenait de plus en plus mièvre en ce moment… Mais ça le faisait sourire, il avait récupéré sa Rita.

Il s’apprêtait à croquer dans une des belles tartines beurrées, quand Rita dit d’une voix qui le fit sursauter : « Andrews est mort. Il a été retrouvé dans la piscine ce matin. ».

Le toast retomba dans l’assiette sans bruit. Bruce se retourna, il scruta le visage de Rita, elle ne mentait pas. Puis son regard vint se poser sur les courbes du corps de Paula. Ah celle-ci, elle ne manquait jamais une occasion de promener ses atours autour de la résidence. Son visage baigné de larmes la rendait plus accessible qu’à l’accoutumée. Il sentait un désir coupable naître dans son slip kangourou. Non, il ne se laisserait pas ensorceler une seconde fois.

Comme si de rien n’était, il reprit son petit déjeuner. Andrews était mort, et ça allait être une sacré pagaille. Un voile noir traversa ses yeux.

Sue

Face au miroir, Sue lissa sa frange une dernière fois. Son maquillage était parfait, elle tourna la tête de gauche à droite pour s’assurer que le fond de teint était correctement étalé. Elle envoya un regard décidé au miroir, puis ouvrit le placard qui se cachait derrière. Une rangée de rouges à lèvres s’alignaient sur l’étagère du haut. Elle les contempla un instant, hum le rouge Mortel n’était pas à sa place habituelle, elle le replaça entre le Rouge Sanguin et le Rouge passion, voilà c’était bien mieux ainsi. Puis elle attrapa le Bordeaux Chic, que son fils lui avait ramené de Paris. D’un geste assuré, elle étala le contenu du tube sur ses lèvres froissées.

Elle referma le placard, sourit une dernière fois à son reflet, reprit son air sévère et se dirigea vers la chambre. Pete avait quitté le lit, il allait encore l’épuiser avant même que la journée ne commence. Elle ouvrit sa commode, toutes ses paires de lunettes étaient rangées par couleur. Les bois de rose iront parfaitement avec son chemisier. Une fois placées sur son nez, elle lissa une dernière fois la jupe de son tailleur et rejoint la cuisine.

Il était presque 7h, elle devait bientôt être au bureau. Il fallait absolument qu’ils règlent le problème du chat sauvage. Les rugissements de la bête la nuit la mettait sur les nerfs et rendaient les résidents anxieux. Si ce maudit chat sauvage ne la rendait pas folle, ce serait les complaintes des habitants de la résidence qui s’en chargeraient.

Elle se rendit directement dans l’entrée et commença à enfiler ses escarpins. La sonnerie de son téléphone retentit à l’intérieur de son sac à main. Déjà ? Elle n’était même pas encore au bureau et déjà les problèmes commençaient.

« Sue Smith à l’appareil », dit-elle d’une voix autoritaire. Son visage blêmit. Andrews avait été retrouvé mort dans la piscine. Le chat sauvage devrait attendre.

Elle secoua la tête, la piscine était censée être fermée la nuit. Franck allait entendre parler d’elle. Aussitôt le téléphone raccroché, elle composa le numéro du jardinier.

Franck

Sa casquette, il allait oublier sa casquette. Franck retourna d’un pas pressé dans la chambre. Mais où avait-il mis sa casquette. En plus, c’était sa préférée. Ses mouvements étaient saccadés, il se tourna vers le lit, puis vers le placard, puis vers le lit de nouveau. Ses yeux étaient fous, les clignements de ses paupières s’accéléraient. Il faisait une crise, il le sentait, il avait la bouche sèche et ses membres étaient secoués de tics.

Vicky sortit du lit, elle se planta devant lui, l’attrapa par les bras et lui fit un baiser sur le front. Ah, ça allait déjà mieux, Vicky avait toujours les bons gestes pour l’apaiser.

« Ta casquette est sur ta tête, Franck. Dépêche toi avant d’être en retard. », lui susurra-t-elle d’une voix douce.

Oh elle avait raison, il enleva sa casquette, lissa ses cheveux gras sur son crâne et la remit. De sa poche, il sortit son inhalateur pour soulager la crise d’asthme qui se calmait à peine. Il attrapa son sac et d’un pas pressé se dirigea jusqu’à sa voiture.

Son pick-up était là, rutilant, il l’attendait. Les jantes étaient comme neuves, il les avait polies et nettoyer tout le reste de l’après midi hier. Après 7 heures à élaguer des buissons, ça l’avait détendu. Il bomba le torse, il était fier du résultat.

Une fois, le sac jeté sur le siège passager, il démarra en trombe le véhicule. Pendant quelques minutes, il se prit pour un pilote de course. Vroum Vroum Vroum, la voiture vrombissait, il prenait les virages serrés, coupait la route des automobilistes qui traînaient, et en moins de temps qu’il ne lui fallait pour se réveiller, il arriva à Riverside Gardens.

Le stress remonta de nouveau. Il chercha la bouteille de Powerade BlueBerries qu’il avait emporté, elle était là. Certain, il était certain de l’avoir emmenée. Non, non, il ne pouvait pas faire sans, il sentait la fatigue l’envahir.

L’horloge de la voiture indiquait 6h41, il fallait qu’il se dépêche. Mais son esprit ne pouvait se concentrer sur autre chose que cette maudite bouteille qui avait disparue. Il lutta, ses yeux roulèrent plusieurs fois dans leurs orbites, il fallait qu’il abandonne la bouteille. De nouveaux tics le secouèrent.

Finalement, il réussit à sortir de la voiture. Quand il ouvrit la portière, la bouteille roula à ses pieds, il poussa un soupir de soulagement.

L’alarme, il fallait qu’il désactive l’alarme. Une vague d’angoisse l’envahit. Le code, il fallait qu’il se souvienne du code. Ah oui, 6790, oui c’est ça 6790. C’était le code, il l’avait noté. Il se saisit du papier dans sa poche, 6790. Un grand sourire s’afficha sur son visage, il s’en souvenait.

Alors qu’il se dirigeait vers le sas d’entrée, son téléphone vibra dans sa poche. Ah non Vicky, ce n’était pas le moment de l’appeler. C’était quoi déjà le code. Pourtant, il se saisit du téléphone.

Les trois lettres qui s’affichaient sur l’écran le firent frissonner. Ça allait être une mauvaise journée. Il décrocha.

Susan

Susan n’arrivait plus à dormir, elle s’enveloppa dans sa robe de chambre en velours et se dirigea vers la fenêtre. Sur son passage, elle attrapa le cadre avec leur photo de mariage. Le fauteuil était déjà positionné face à la rue, elle s’y installa.

Ce matin, il faisait froid, elle attrapa de sa main libre le plaid en polaire que ses enfants lui avaient offert pour Noël. Elle se sentait seule d’un coup, terriblement seule. Ses yeux tombèrent sur le cadre qu’elle tenait fermement en main. Son pouce caressa, à travers le verre, le visage de Rick. Il était beau son Rick, magnifique dans son costume de mariage. Même avec les années, il était resté bel homme. Elle l’avait tellement aimé. Où allait-elle mettre tout cet amour maintenant ?

Une larme coula sur sa joue fripée et tomba sur le cadre. D’une main, elle s’essuya le visage. Son regard retourna vers la rue. Déserte, à cette heure-ci, la rue était déserte. Mais dans quelques minutes, les nageurs feraient leur apparition. D’abord Paula, puis tous les autres.

C’était le seul plaisir qui lui restait avec le jardinage, observer les autres vivre. Rien qu’en les regardant, elle en devinait les émois, les histoires. Oui avec un peu d’observation, on pouvait en savoir beaucoup sur les gens, bien plus qu’ils ne voudraient d’ailleurs.

Ah tiens, Paula arrivait. Elle avait mis le paquet comme d’habitude, enveloppée de rouge. Cette femme était dangereuse, Susan n’avait aucun doute. Pourtant, elle était son amie, si elle ne la comprenait pas, elle avait su être d’une aide précieuse quand Rick avait été emporté par le cancer. La nymphe de Riverside, oui, il valait mieux l’avoir en amie qu’en ennemie.

Plongée dans ses souvenirs, elle ne vit pas Martha passer à son tour. Ce fut le cri de cette dernière qui la sortit de ses songes.

Un long frisson la fit tressaillir, elle avait un très mauvais pressentiment. Les images de la nuit lui revinrent en mémoire. Bruce s’était dirigé vers la piscine un peu avant minuit et il avait été suivi de près par Andrews. Tout ça ne lui disait rien qui vaille. Pourvu qu’il ne soit rien arrivé à Bruce, Rita ne s’en remettrait pas.

Il fallait qu’elle la prévienne.

Suite au prochain épisode, la semaine prochaine

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